SUPERSONIC Play SUN RA l Thomas De Pourquery l La Dynamo l Banlieues Bleues


Photo Jean-Marie Legros (edwardperraud.com)

Tout dépend de chacun, d'accord, fuck les amalgames, si tu veux, mais bon, le 24 mars 2016, ce n'est pas la totalité de la population françoise qui avait décidé d'envahir Pantin. Ou pas à 20h pile, alors. Doit-on craindre une nouvelle manifestation du snobisme extra-muros ?

Dans la rue Gabrielle Josserand, peu de sites sont classés. Profitant de cette confidentialité, la Dynamo de Banlieues Bleues s'est installée à côté d'un garage-carrosserie, au n°9. Un grillage résille filtre l'accueil gentiment vigipiraté, pour dévoiler, sans excès pharaonique, un parking de récréation sur lequel nous queuttons patiemment la maigre file qui nous précède. Ce n'est pas un scoop, mais les regards échangés nous rassurent une nouvelle fois sur l'espérance de vie francilienne. Au guichet, derrière la vitrine découpée dans la façade, une délicate attention nous attend. L'ouvreuse nous remet une enveloppe - correctement libellée à nos noms certes répandus, mais l'écueil est toujours possible - contenant nos billets dont la pliure épargne soigneusement le code-barre.

La façade rubikscubique de la Dynamo n'est pas particulièrement spectaculaire. Mais une fois la porte d'entrée poussée, c'est le choc. Le chaos. Nuclear War.

Sous cette verrière aux armatures d'hémoglobine, le vacarme réverbé de l'assistance pourtant clairsemée perturbe les sens. Le regard devient girouette, chahuté entre l'écran muet de droite, le comptoir vide au centre et les tables de pique-nique de gauche tandis que les naseaux hument, au fond, le bar-cantine masqué qui diffuse ses arômes de quiche aux poireaux. Désorientés, nous filons vers le vigile armé de son kit mains-libres pour tenter de pousser/tirer la porte paint in pink. La configuration de la salle se rapproche de la perfection. Large et peu profond, le polygone anguleux qui l'enveloppe assure à chacun la meilleure place (contrairement au syndrome du pilier cher au Triton, par exemple). Autour de la scène, un premier plateau de quatre rangées entoure l'orchestre, à un mètre des pédales d'effets. Derrière, une passerelle surélevée permet d'installer les potentiels incontinents, confortablement accoudés à la balustrade. Dans le doute, et surtout dans l'ignorance, un collaborateur choisi pour sa ponctualité a été mandaté pour réserver nos sièges de ses trois cabans en papier de soie coltrée, bien dans l'axe, la nuque dans la console.

Méfiants vis-à-vis du succès, nous ne sommes pas spécialement venus pour tailler la barbe au rugbyman du MegaOctet, mais pour nous délecter des élégantes volutes poivre et sel du TILT de Joce Mienniel, découvert sur FIP comme souvent. Mais si les premières interférences du quartet sophistiqué confirment notre goût pour l'avant-garde audible, nous regrettons, après quarante minutes clonées, d'avoir négligé l'appel de notre foie qui crie cirrhose.

C'est à l'issue de l'entracte minuté (goge ta binche, mange ta clope, oh Magic Malik!) que Supersonic, pendant du Jus de Bocse de Médéric (plus de poils, moins de salive) entre sur scène.

Le choc est d'abord visuel. Fabrice THEUILLON, ténor et baryton croisé en live chez Magma, est le dernier arrivé dans l'orquestro, en remplacement de Laurent Bardainne (cofondateur de Poni Hoax et Rigolus). Il arbore une barbe raisonnablement fournie et attire l'oeil par sa chemise blanche bien repassée, floquée de roses rouges. A sa droite s'érige Arnaud ROULIN, une main sur chaque clavier, qui connaît la célébrité comme membre de Poni Hoax, également. Il se démarque par une paire de sunglasses particulièrement adaptées à l'obscurité et d'une veste dont la coupe sans plus de commentaire laisse deviner ce qui pourrait ressembler à un tee-shirt porteur d'un message subversif à souhait. Mais sa barbe parait un poil trop clairsemée. A l'opposé de la scène se tient Fabrice MARTINEZ, trompettiste versatile à la carrière aussi foisonnante que le trombinoscope de l'ONJ. D'un grand classicisme, son charisme naturel lui autorise la simplicité. Un tee-shirt noir dont le col V, profond, trompe le regard auquel échappe sa boucle maltaise à l'oreille gauche. Derrière lui, en retrait, en particulier verticalement, Frederick GALIAY semble privilégier une approche discrète, typique des joueurs de 4 cordes. Le plasticien émacié aux yeux clairs attend, patiemment, que les deux derniers sauvages arrivent. Edward PERRAUD, cousin psychiatrique de Philippe Gleizes, est le partenaire de Frederick (BIG), de Benoît Delbecq, de Jean-Pierre Drouet et de Philippe Torreton, entre autres. L'étendue de sa carrière oblique ainsi que son dressing (disposant d'un large choix de motifs) évoquent de joyeuses fulgurances, déconseillées aux migraineux obtus. C'est en essuyant d'une manche sûre les dernières gouttes de cervoise noyées dans son frêle duvet que le Gimli de la RN3, bien moulé dans sa chemise de flibustier, déboule, sternum au vent, tout jouasse de revenir au même endroit, cinq ans après avoir fini son dernier flacon d'after-shave.

La suite ne dure qu'un instant. Une fraction de deux heures de transes joyeusement torturées, propulsées par la barbarie rythmique. Debout d'une fesse sur son tabouret, Edward semble balayer maladroitement ses peaux, comme s'il effleurait les pylônes de ses poignets saccadés. Mais ses mouvements faussement étriqués se font danse devant l'amplitude de son jeu. Car l'impact qu'il produit, d'une variété angoissante, aimante les tympans de la rétine. Intraitable comme un expert-comptable sous ritaline, il combine avec Frederick toutes les nuances de leur science percussive.

Le duo acharné provoque d'entrée un séisme aux secousses épileptiques. Dans le hit pré-prog Rocket Number Nine, br(ui)llamment introduit par les bidouilles speedées d'Arnaud l'imperturbable, la parade vocale s'installe, chahutée par les grattements jouissifs de Frederick, possédé, démontant ses cordes, tailladant ses frettes, un couteau à peintre à chaque doigt. Cette saignée méthodique est répétée sans relâche: dans l'agression soufflée de l'orgiaque marche bovine Watusi Egyptian March, symbole miraculeux de la torture synthétique dans laquelle le malaise euphorique rend l'immonde passionnant, comme dans l'irrespirable sacrifice du baryton de Shadow World, bande son du concours de cri de Mingus. Le traumatisme est immédiat et durable. Ni la virtuosité chaleureuse du Pourq sur le breakbeat millimétré de Disco 2100, ni les essences enivrantes du cocktail siroté en apesanteur de Love In Outer Space n'effaceront la mémoire de la révélation; le souvenir de l'état multiple dans lequel nous plonge cette découverte interstellaire, nouspassifs atomes catapultés dans l'infini cosmique (We Travel The Spaceways),  qu'il soit coltranien ou non, peu importe (Space Is The Place). Car nous avons trouvé, par cette porte dérobée de l'est parisien que le Supersonic a démoli, l'accès à l'univers chaotique de Sun Ra, ce prophète des ritournelles évanescentes qui font peur, parfois.

Playlist SUN RA

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire