Vincent GALLO l WHEN l Octobre 2001

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Mais pourquoi suis-je aussi banal ?


Sans doute aurais-je dû être différent.

J'aurais été sensible, audacieux, américain, conceptuel, performer, peintre, fier, cinéphile, rebelle, charismatique, beau, décomplexé, acteur, éclectique, exigeant, rare, réalisateur, torturé, suicidaire, pilote, maniaque, précoce, mélomane, fanasciste, collectionneur, mélancolique, audiophile, musicien, contradictoire, culte, obsessionnel, intransigeant, évanescent, patient, esthète, puant, amoureux, seul. Mon oeuvre, une biographie. Ma vie, une synthèse. Mon cul, le bordel.

Si seulement j'avais eu du goût, j'aurais cramé mes dividendes ailleurs que chez Fender. Pour des guitares Gibson Blonde Super 400s, Veleno, Travis Bean exclusivement. Ulcéré, j'aurais humilié sans détour les faux geeks qui subventionnent Steinberg pour installer avec soin mon précieux matériel Universal Audio, posément, dans un motel-studio loué par Todd, à ce moment précis précédant le sommeil; quand les idées vous submergent sans pouvoir les retenir. Pour garantir l'essentiel, le son. Un son d'une pureté à faire fuir les groupies soiffardes de l'Electric Lady Studio. Le plaisir pur, instinctif et imprescriptible de caresser les mêmes accords pleins, gorgés de ce grain à l'épaisse onctuosité. Le son qu'aurait eu Harvey Mandel si ses bidouillages incessants ne lui avaient pas empêché de conserver le bon réglage. Une pureté telle qu'elle aurait magnifiée toutes les fêlures que tous ces putains de fafs de critiques eunuques auraient relevées.


Inlassablement, j'aurais tenté de monter un groupe, persuadé de mon génie, pour au final me réaliser tout seul, délaissant mes frères de couleur, sucka.

J'aurais fait le malin avec mon drum-kit rien que pour que Moondog fasse la bise à la dauphine Hilton. Peu importe que Skip Spence ou Robert (Oar/The End Of An Ear) jouent mieux (Picture Of Her, Yes I'm Lonely). J'aurais hésité à doubler parfois ma voix (When), mais au final j'aurais tout laissé, sans mettre quinze plombes à dégueuler des allégories de branleurs de khâgneux, vu que j'aurais tout mis dans le son, je te l'ai déjà dit (Laura, Yes I'm Lonely). J'aurais maudit toute finale abrupte, ces points d'orgue à la con. J'aurais laissé la guitare s'essouffler, ma main droite rendre l'âme car j'aurais déjà deviné que seuls les vrais génies mangent les temps: Syd,  Curtis, Stofounov. Libre, je me serais permis, sans demander l'autorisation, de m'enregistrer en train de composer live une love song désincarnée, sur le piano acarien du hall souterrain d'un motel au luxe crade, mon costard blanc, rien dessous, devant ma promise du soir que je serais en train de larguer (Apple Girl). Alors que mes pensées auraient en réalité été accaparées par ma salle de bains, là où mon seul souhait aurait été de frotter lentement le dos de Peter Green, avachi dans son bain moussant (Cracks).

Du coup, sans même m'énerver, j'aurais oublié de jouer les toniques à la basse, restant des nuits entières sur le mellotron, les yeux embués par l'exhumation de mes amours progressifs. Isolé dans mon cocon sonore, je n'aurais pas été ébloui plus que ça par la révolution ouatée de Thom Yorke qui se jouait au même moment. Les rouquins, c'est la plaie et j'en ai pas lourd à carrer des anti-capitalistes verdâtres. Rien à cogner qu'il écoute en boucle AFX. J'aurais trouvé au fond de mon diaphragme l'innocence sacrée de la famille Ellidge, pour faire mien ce timbre instinctivement précieux. Si j'avais été barbu, j'aurais chanté comme moi, quitte à être moins prolifique que Seb. Je n'aurais pas cherché à accumuler les riffs gigognes d'Hugh Hopper. J'aurais vénéré Chris Squire, j'en aurais fait mon guide, quitte à m'incruster dans sa famille, d'aucuns diront piller son héritage. Fuck em all. J'aurais côtoyé des futures stars, et donc ? J'en serais une aussi mais sans avoir besoin de la reconnaissance de ces suceurs de bouffons. Bien sûr, mon souhait le plus cher aurait été d'enregistrer, librement, un album amateur, confortable, doux, facile, humain, fluide, épuré, poétique, flottant, aérien, addictif, brillant, beau, unique. No bullshit, quoi. Et sans même m'en soucier, j'y serais parvenu.


Ce pourrait être tellement bien, tellement bien, tellement bien.

3 commentaires:

  1. Ouais non t'inquiète, je suis sûr que tu te serais fait chier.
    Tu diras à ton pote de rendre son T-Shirt à Sarko et son slibard à DSK.

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  2. Très beau disque, par contre, pour le look, y'a encore du boulot!

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  3. Ah, Gallo!! Le mec qui déprime. ;)

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