The CAN l MONSTER MOVIE l Eté 1969



A l'Est. Je dois passer la frontière dans la nuit pour me rendre au happening illégal d'un collectif vidéaste berlino-malgache dans une bouche d'égout transformée en crèche parentale. Et une furieuse envie de saucisse, aussi. Sauerkraut, en masse. Absolutely Free.

Je m'approche de la porte de Bagnolet. Comme l'impression que le GPS se fout de ma gueule; rapport l'A3, elle va en haut. Le triangle de la mort, donc. La zone de non-droit. Un carton/minute. De quoi préférer le tram pour aller aux urgences pédiatriques. Pas de signal radio, wie gewohnt. Scheisse Fernsehturm, toujours en grève ? Pas moyen de caser une phrase entière.

22h12. L'échangeur en ligne de mire. Le traditionnel rendez-vous des amateurs de stock-car est maintenant imminent. Les gangs de tuneurs de la petite couronne sont prêts pour le run de trop. Jusqu'ici timide, ma 106 (1,6 L., 120 chevaux à 6600 tours/min., injection Magnetti Marelli bien sûr), a la niaque ce soir, et ce n'est pas le tract coincé dans l'essuie-glace qui la refroidira. Peut prendre son congé parental, le frein moteur.
Au premier regard, le féru de go-fast qui stagne à ma gauche lève le doigt. Le pas propre. Une Audi A3 d'occasion, des caissons de basse ras la gueule, l'arbre magique Adidash. Il compte bien taquiner de la calandre, le représentant de chez Lacoste. Son disciple d'un soir, Merco noire coupée au cuter, fumée, fait l'anguille file de droite. Il envisage de caresser mon aile dessinée par Wes Wilson. No way, sucka. La seconde dans la paume, je balaye d'un premier entrechat leurs assauts juvéniles. Je néglige tout regard en coin, pour me concentrer sur mon but. File de gauche forever, scande mon macaron. Et ce putain de flyer sur l'essuie-glace qui jacte toujours. On se rapproche du zébra, là où naît la sixième voie. Quelques mètres de sursis avant l'assaut final. Trois secondes de répit avant le constat. Le dernier point. A huit sur cinq files, le tri promet d'être sélectif. A la napolitaine. Les jantes griffent, les rétros se rétractent, mes colocs kamikazes prient, la main sur le Code Rousseau. A mesure que la sixième file s'approche, j'avale la ligne blanche, le rail interdit. Persuadés de l'évidence de ma fuite, les abonnés de l'Eléphant Bleu lissent leurs pneus dans l'espoir de me rejoindre. Hurlant comme un père qui ne peut se plaindre, je profite du moment  pour piler de toutes mes forces, le gourdin à main à 90°. Les fondateurs de l'Amicale de Jean Alesi érigent un hommage à César, une nouvelle protection phonique dans un nuage de gomme. Le temps de rattraper le prospectus retors, j'introduis dans un sursaut suryabonalien la file de droite, dépassant le mur du son. Le germanium qui fond. Le bacon est cuit. Je lis le flyer. Y a même l'adresse dessus, ça évitera l'itinéraire bis au retour. Bon bah y a plus qu'à récupérer l'A4.

Tout est calme, soudainement. Avant d'aller faire une pause dans les gogues à Mickey, je profite ce cette accalmie pour passer un coup de fil à Marie, qu'elle évite de passer par Bagnolet, ça risque de congestionner un moment. Je l'écoute distraitrement, trop occupé à contempler le Palacio d'Abraxas sur ma gauche. Devant moi, l'horizon se fond. L'autoroute abandonnée voit ses trois files se rejoindre, B.A.U. comprise. Un tarmac s'offre à moi. Je divague, lentement, alors que les fenêtres s'ouvrent toutes seules. Ca sent bon le pétrole. Les premiers souffles du Niederwind glacent mes paupières, remplissent mes pupilles de bonheur inquiet. Sous le joug des cristaux du front russe, le vent glacé rougi mes tympans offerts, rien ne pourrait me faire lever le pied droit. Au compteur, les miles bégaient; le régulateur de vitesse s'avoue vaincu, incapable de compter au-delà. Mais comment le législateur a-t-il pu prohiber le kérosène pour les véhicules terrestres ? Insidieusement, une pleine et large asthénie m'étreint, comme dans la plus belle des cryonies.

Comateux, je n'ai aucun souvenir de m'être arrêté. Au-dessus de ma tête, une enseigne inconnue, lorraine, je suppose. Peu importe, je ne suis pas VRP. Je déchire ma carte TOTAL (remember Gilles De Robien, le premier keupon libéral). Au bout du parking, le traditionnel néon blafard grésille. Je pousse les portes de mes tiags achetées à Altamont. Pour faire viril, je commande une demie douzaine de cafés. Croyant entendre le doux timbre d'Annie Girardot au bout du zinc, je me retourne. Un grand black décharné engueule le juke-box. On danse pas dans une station essence, ça c'est sûr. Je lâche mes trois derniers deutsche mark et regagne mon bolide. Ma main sur le neiman, le black gueule à travers la vitre qu'il veut des clopes. Sans filtre. Il veut monter aussi, tant qu'à faire. Alors que j'enclenche la première, le gentleman, rejoint par trois badauds, commence à s'exciter sur le capot. Six coups fermes, cuivrés, résonnent dans l'habitacle. Cassos. Le marathonien entame son jogging.

Dans la sécurité transitoire de ma berline noisy, je me persuade que j'ai bien fait de le laisser. Que ça va aller, ça va aller. C'était sans compter sur le charme désuet de la mécanique. Au moment même où l'angoisse de mon agression avortée se tarit, mes pneus commencent à couiner. Comme un hamster coincé. Je commence à flipper. Je m'habitue au bruit jusqu'à ce que les voyants du tableau de bord s'illuminent. Les tachymètres n'ont plus d'aiguille, les odomètres sont à zéro. Heureusement, je peux contacter un concessionnaire fermé la nuit à moins de 200 bornes, me dit le manuel d'utilisation. Ca va aller, ça va aller. Les turbulences s'accélèrent, Ayrton Parkinson. Huit minutes de secousses sismiques plus tard, mes Michelin expirent leurs dernières molécules d'azote. Fini, le rallye.
Incapable de retrouver l'emplacement du cric. J'entends au loin des pas qui se rapprochent. Le skeletor afro n'avait donc pas lâché l'affaire. Il crie à l'aide, à bout de souffle. Il veut rejoindre sa meuf à Zurich, mais le combi Volkswagen de son pote Irmin est actuellement séquestré par les condés à la frontière. Il ne s'arrête plus de causer, le cardiaque. A terre, à peine audible, il suffoque. Je me saisis de mes pinces crocodiles étonnamment rangées à leur place pour le ranimer. Sans le BAFA, peu de chance de résurrection, surtout avec la fréquence de son pouls. Etourdi par la vigueur du blizzard vosgien, je ne peux faire abstraction du bruit des rails, de ce train infini, des vérins de titane. Son pouls se confond avec le rythme des locomotives, mon sang traverse les caténaires. Au bout d'un quart d'heure, il revient à lui, confus. "Tu dois bouger. J'ai besoin de toi. J'ai plus de voyelles.. Tout va bien, tout va bien "... Vivement le contrôle technique.

4 commentaires:

  1. C'est par où la Pologne ? J'ai une furieuse envie de l'envahir ...

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  2. Ah le blizzard Vosgien, terrible ! Au fait on parlait de quoi ? C'est vrai qu'ici parfois je ne sais plus à la fin du pourquoi j'étais venu ni dans quel but ! Et c'est merveilleux. Merci d'assembler les mots suffisamment pour que cela nous fasse sourire.
    Yes tu CAN.

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  3. Ça a l'air sympa dis donc.

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  4. Quel excellent texte, surréaliste, presque dadaïste. Non sens poétiques, descriptions délirantes, humour trash cool......Hunter S Thomson......Lester Bang, sort de ce corps !!! Mais c'est vrai que je me suis un peu perdu en route, au bout de la nuit.
    De plus, j'adôoooooore Can.
    A +

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