'IGGINBOTTOM l 'IGGINBOTTOM'S WRENCH l 1969

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C'est en recherchant vainement une amorce inédite que je retomba sur ce fugace coup de foudre adulescent. J'étais environ comme aujourd'hui. Brouillon, et perfectible.


L'appartement familial était plutôt confortable. Pas d'obstacle majeur à redouter, ni de famille nombreuse à déplorer. Briques, parquet, moulures, boiseries. Pas d'agression, mais pas d'auto-satisfaction non plus. Un équilibre facile, qui ne pouvait laisser présager l'attentat qu'ourdissaient, sous le prétexte de la quête du beau, les complices du machiavélique petit bonhomme de bois O'Cedar.

Car comment justifier l'outrage subi par cette demeure irréprochable,  cet acharnement pathologique consistant à lustrer de vaseline enrichie le parquet qui se trouve, inévitablement, sur la trajectoire de l'armoire audionormande, ce totem sacré de la culture à bibi avoisinant la densité du plomb que je croyais pourtant circonscrit aux lobes pariétaux des agents immobiliers ? Parti sans espoir à la recherche de l'album des Wilde Flowers coincé depuis trop longtemps sous le quintal boisé, je néglige donc la couardise ménagère et me lance sans retenue, chaussettes en cachemire. Avec un centre de gravité nettement moins élevé que celui de Dick Fosbury, ma carcasse s'envole peu pour rectifier définitivement le plancher. L'occiput droit devant, un réflexe de génie m'empêche de laper le point de hongrie. Mais rien ne peut stopper la force de l'élan, si ce n'est le soubassement du tabernacle, robuste pour le coup. Et me voilà étalé comme une vulgaire peau de chamois dans un chalet du Grand-Bornand, la clavicule à 90°. C'est ainsi, la cervelle sous le vaisselier, le reste du corps à découvert, paralysé, que je maudis mon frère, témoin inutile de ce crime contre l'humanité perpétré sous mobilier termité, l'entendant s'enfuir d'un rire Vidéo-Gag de la résidence familiale.

Dans l'attente de l'intervention hypothétique des secours-menuisiers, je palpe de mon bras malhabile dans la poussière la façade Luxman. Je devine le tuner, bloqué sur Radio-Classique, conscient que ce n'est pas le moment de réduire à néant mon espérance de vie. A droite, la platine vinyle me parait ambitieuse d'accès, vu les limites de ma collection de 78 tours en braille. Pour ne pas lister tous les supports à ma disposition, je me rabats instinctivement sur le lecteur CD, espérant y avoir oublié la première réédition d'une relique inouïe, vestige inédit d'une révolution auditive inachevée qui saura récompenser les exploits de ma partie de curling indoor.

Des profondeurs boisées des Cabasse dont les pieds chatouillent ma glotte, je découvre un son déjà entendu, chéri, mais jamais de la sorte. Un son briton, net, chaud, pur, localisé. Celui du Keith Tippett Group ou du premier Nucleus, cet orchestre lumineux où Allan se la belladonnera dans peu de temps. Un son qui, draguant brièvement les réminiscences scolaires des frères Giles, Giles (in Thursday Morning voire même How Do They Know), accompagne la fuite affolée des araignées digitales qu'Allan caresse autrement plus goulument que son partenaire bègue (The Castle). La douleur nucale m'irradie lentement, pendant que les apprentis coiffeurs discutent poliment avec Kim Fowley dans la cage d'escalier (Out of Confusion). La clavicule oubliée, une douce fatigue m'enveloppe, me persuadant que c'est Elvin Jones qui introduit le thème de COSMOS 1999 (The Witch), avant que, sous mon cocon de merisier, le flegme voilé de l'organe coquin me propose les plus sensuelles des tortures sadiennes, tandis que The Thumb se dédouble dans une avalanche dépassant le nombre de notes maximales autorisées, silences inclus. L'anti-matière. Le bruit gris. De quoi faire passer Egberto Gismonti pour le contrebassiniste des Poubelle Boys (Sweet Dry Biscuits). La béatitude inédite des premiers instants post-traumatiques, que mon omoaplatie ne permet pas de rembobiner, laisse place à un flottement flou, amorphé(e). Profitant de la couarde fuite de mon dernier-ami, le chien boudin de l'entrée, un courant d'air chaud vient laper mes chevilles striées d'échardes. Sous le seuil, les quatre doigts de Wes, béquilles pour l'éternité, analysent sans trop de ferveur la situation, lassées de reprendre tout le Billboard (California Dreaming). Ils s'échappent à l'écoute des murmures peu farouches d'Allan, prêt à désinhiber la base de mon épine dorsale gisant, offerte, sans défense (Golden Lakes).

Mais mon attention se défile quand ma raison s'égare, incapable de retenir, après tant de féérie, les touchants efforts inutiles qui se succèdent ad lieb. Transi, seule me reste la force d'un rictus taquin à l'écoute de Sourd Boy (Blind Girl), le chanteur approximatif le plus déprimé de la décennie qui se croit légitime à défricher sans boussole les nouvelles terres du Starsailor sous prétexte qu'il joue plus vite que Larry Beckett.

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